Date : 23/02/2025
Temps de lecture : 5 minutes
Pierre Bayard est professeur de littérature à l’université Paris VIII et essayiste français. Il est connu pour ses essais originaux dans lesquels il apporte sa vision critique et non conventionnelle sur des sujets autour de la littérature.
« Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? » est un de ses plus grands succès, paru en 2007, et traduit dans de nombreuses langues.
Pour beaucoup, lire un livre c'est le lire attentivement de la première à la dernière page. Parler d'un livre que l'on a pas lu est malvenu et il y a parfois un sentiment de honte à ne pas avoir lu les classiques de la littérature. Dans cet ouvrage, Pierre Bayard remet en question ce rapport aux livres, tout en apportant un point de vue original et décomplexé. Son argumentaire est accompagné de références à des personnages historiques, ainsi qu'à des extraits de plusieurs romans. Ces références illustrent le propos de l’auteur et facilitent la compréhension. Le style et le ton du livre rendent la lecture agréable et sympathique.
J’ai beaucoup apprécié le concept de bibliothèques que développe Pierre Bayard, en voici un court résumé.
Il est impossible de tout lire. C’est avec cette vérité que commence l’auteur. Notre culture littéraire est essentiellement composée de failles. Lire un livre, c’est ne pas lire les autres. Et même lorsque l’on a lu un livre, on oublie rapidement la majorité de son contenu.
Chaque ouvrage s'inscrit dans un ensemble qui peut être défini par un mouvement de pensée, une période ou un style. Chaque livre d'un ensemble a une situation propre et dispose d’un certain nombre de liens et d'interactions avec les autres livres. Ces ensembles de livres constituent ce que l’auteur appelle la bibliothèque collective.
Pour avoir de la culture, il faut connaitre la situation de nombreux livres, pas spécialement les avoir lus. De fait, il est tout à fait possible de parler d'un livre que l'on n’a pas lu, mais dont on connait sa place dans la bibliothèque collective.
"Pour un vrai lecteur, soucieux de réfléchir à la littérature, ce n’est pas tel livre qui compte, mais l’ensemble de tous les autres, et prêter une attention exclusive à un seul risque de faire perdre de vue cet ensemble et ce qui, en tout livre, participe à une organisation plus vaste qui permet de le comprendre en profondeur. Pierre Bayard."
Chaque lecteur a sa propre bibliothèque intérieure, qui est un sous-ensemble de la bibliothèque collective. Cette bibliothèque intérieure se construit au fil de nos lectures, qui elles-mêmes résonnent avec notre vécu et notre personnalité.
Ce qui rend unique la bibliothèque intérieure de chacun c'est aussi la singularité du rapport que chaque individu entretient avec un livre. Deux personnes qui lisent le même ouvrage ne vont pas retenir les mêmes choses, ne vont pas vivre l'histoire de la même manière. Et après quelque temps, le souvenir qu'elles en garderont ne sera qu'un mélange de fragments (parfois même imaginaires).
"Ce que nous prenons pour des livres lus est un amoncellement hétéroclite de fragments de textes, remaniés par notre imaginaire et sans rapport avec les livres des autres, seraient-ils matériellement identiques à ceux qui nous sont passés entre les mains. Pierre Bayard."
Lorsque nous parlons d'un livre, nous confrontons nos relations uniques avec le livre, mais nous confrontons aussi nos bibliothèques intérieures. Il se crée alors ce que l'auteur appelle la bibliothèque virtuelle, un espace composé de fragments d’écrits, d'images que les lecteurs ont des livres et de fictions personnelles. La bibliothèque virtuelle est mouvante et est le point de rencontre de plusieurs bibliothèques intérieures. C'est pourquoi l'auteur considère que de nouveaux livres naissent de la bibliothèque virtuelle. C'est ce qu'il nomme des livres-fantômes.
"Parler d'un livre concerne moins l'espace de ce livre que le temps du discours à son sujet. Pierre Bayard."
Les trois bibliothèques que crée Pierre Bayard sont de bons outils pour comprendre notre rapport à la littérature. Parler ou faire la critique d’un livre que l’on n'a pas lu peut même être considéré comme une activité créatrice à part entière.
Comme le conclut l'auteur, la culture peut devenir pour certains "un empêchement à être", ce qui est dommage. « Comment parler des livres que l’on n'a pas lus ? » est un formidable essai pour repenser son propre rapport à la lecture, pour se décomplexer, pour désacraliser le livre afin d'en tirer plus de richesse.
"La culture est un théâtre chargé de dissimuler les ignorances individuelles et la fragmentation du savoir. Pierre Bayard."
Grâce à cet essai, j’ai compris que cette vision commune binaire « lu / non lu » pouvait être dépassée. On peut parcourir un livre, lire un résumé, écouter les autres en parler et en parler à notre tour sans l’avoir lu de la première à la dernière page. C'est à nous de parcourir les diverses bibliothèques pour nous enrichir, nous découvrir et, qui sait, peut-être un jour, écrire notre propre bibliothèque intérieure dans un livre.
AS.
"C'est à une traversée des livres que procède le bon lecteur, qui sait que chacun d'eux est porteur d'une partie de lui-même et peut lui en ouvrir la voie, s'il a la sagesse de ne pas s'y arrêter."
Source - Éditions de Minuit - https://www.leseditionsdeminuit.fr/